Conte

Rashômon et autres contes

« Le cœur humain est partagé par deux sentiments contradictoires. Nous éprouvons, certes, de la compassion pour le malheur d’autrui. Mais si notre prochain s’en tire tant bien que mal, nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver quelque mécontentement. Nous pouvons même aller parfois jusqu’au désir de le voir retomber dans le même malheur. »

Ryunosuke Akutagawa, Rashômon et autres contes, Gallimard, 1986.

Motivations initiales

Après Yukio Mishima et Yasunari Kawabata, j’avais repéré cet Akutagawa. Un bon pavé, des contes ? Cela se présentait plutôt bien !

Synopsis

S’agissant d’un recueil de récits brefs, il est difficile de proposer un synopsis. Et, certains ayant déjà bien fait le travail, je ne vais pas essayer de vous résumer chaque texte, mais, plutôt, vous renvoyer vers les blogs Welcome to Nebalia ou La bibliothèque de Philémont. Vous y trouverez tout ce qu’il vous faut, aucun doute là dessus !

Avis

> L’avis de T

Je le disais précédemment, j’ai lu ce livre alors que j’étais en pleine « période japonaise ». Et j’avais notamment un intérêt particulièrement marqué pour deux aspects de la question : comment les auteurs japonais vivaient-ils le déchirement de leur société, tiraillée entre sa culture et son histoire et une ouverture revendiquée vers la culture européenne – on sait que Mishima en avait fait un cheval de bataille, donnant à son suicide rituel (seppuku) le sens d’une protestation contre l’envahissement de la culture japonaise par les mœurs occidentales -, d’une part, et en quoi la littérature japonaise repose-t-elle sur un travail stylistique particulier.

Après Mishima – Le pavillon d’or -, par filiation, j’ai commencé à lire Yasunari Kawabata. Tristesse et beauté, Les belles endormies, Pays de neige. Incroyablement peu connu en France pour un prix Nobel de littérature – le premier japonais a avoir reçu ce prix -, considéré comme un écrivain majeur du XXe siècle, il était d’autant plus attirant pour moi. Pouvoir, au détour d’une phrase, citer un auteur japonais peu connu, quel infini bonheur, non ? Bon, certes, cela a été partiellement gâché lorsque Les belles endormies est devenu un film (Sleeping beauty, 2011), mais l’échec relatif du film et son peu de spectateurs fait que c’est encore jouable…

Avec Tristesse et beauté, la question du style était sur la table. Alors quand j’ai découvert un troisième auteur japonais de la même mouvance mais dont toute l’œuvre tournait autour de la question du style, je ne pouvais plus y échapper. En effet, comme le dit Roger Bozzetto dans « Littérature et cinéma fantastiques au Japon » (La revue des ressources, 2008), Ryunosuke Akutagawa propose, dans Rashômon et autres contes « des textes originaux, [qui] se réfèrent à d’anciens contes recueillis dans le Konjaku monogatari (XII°siècle). [Il reprend] sous des angles neufs et dans un style littéraire moderne les thèmes des anciens contes. [Il répète, à sa manière,] ce que Pu Song Lin au XVIII° siècle avait fait pour les contes chinois de la dynastie des Han, à savoir transposer dans la prose littéraire de son époque les images et les récits venus du folklore ».

C’est à cette occasion que j’ai découvert cet exercice à ma connaissance propre à la littérature japonaise de reprendre des textes de recueils anciens, de les réécrire, avec un objectif qui, s’il est simple à exprimer, est d’une insondable complexité dans les faits : réécrire des « contes » – la définition ici n’est pas celle que nous acceptons habituellement dans la littérature européenne -, en faisant en sorte à la fois – et c’est bien là toute la difficulté – qu’ils conservent le style propre à leur version originale tout en leur donnant un style propre à celui qui les réécrit. Autrement dit, objectif schizophrène, que chaque conte, extrait d’un recueil différent, conserve sa spécificité (un peu du style de son auteur d’origine), tout en faisant en sorte de donner néanmoins une uniformité de style – celui de l’auteur qui mène l’exercice – à ces récits. Une uniformisation qui conserve la typicité, en quelque sorte ! Ou la quadrature du cercle !

C’est à la fois fascinant, et parfois presque trop. Il faut alors se laisser aller à replonger dans l’ambiance, se laisser porter par le texte. L’ambiance est sombre, voire macabre. Faut-il y voir une trace de la mauvaise santé de l’auteur ? Souffrant du cœur, de l’estomac, des intestins, sujet à des hallucinations et à une neurasthénie tenace, il se suicide à l’âge de 35 ans, en laissant pour seul message « vague inquiétude ». Deux de ses nouvelles, Dans le fourré et Rashômon, justement, ont inspiré à Akira Kurosawa son Rashômon

Bon, avouons le : je l’ai lu, mais je n’y reviendrai sans doute pas. Ce n’est évidemment pas le livre que je recommande à ceux qui voudraient faire une première incursion du côté de la littérature japonaise. Mais il n’y a pas que les block-busters, il n’y a pas que les page-turners

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