Fantastiques, Nouvelle, Psychologique, Science-fiction

La voix des dauphins

« Vous pourriez créer une Fondation, dotée de 30 millions de dollars par an. Les chercheurs impécunieux pourraient demander une subvention, à condition que leurs arguments soient convaincants. Organisez dix comités, composés chacun de douze savants, et donnez leur pour tâche de transmettre ces demandes. Enlevez à leurs laboratoires les savants les plus actifs et nommez-les membres de ces comités. »

Leó Szilárd, La voix des dauphins, Éditions Denoël, 1962, p. 60.

Motivations initiales

L’extrait donné ci-dessus, dont je reparlerai plus bas, m’a convaincu voilà quelques mois que ce livre pouvait être intéressant à découvrir. Alors, à l’occasion, j’ai regardé si je ne le trouvais pas d’occasion, parce qu’il n’a pas été réédité, à ma connaissance, depuis sa publication – en 1962 dans la collection Présence du futur, dont il est le numéro 55 -. Pour les afficionados, c’est encore la collection blanche… J’ai cru ne jamais le trouver mais… il m’attendait, au coin d’une étagère !

Synopsis

Avant de parler de ce recueil de nouvelles, il faut parler de l’auteur, Leó Szilárd. Je ne vais pas vous la faire Wikipédia (si vous voulez aller vois, c’est ici : Leó Szilárd), mais il s’agit d’un savant atomiste, américain d’origine hongroise, membre du projet Manhattan. Il a donc travaillé au développement de l’arme nucléaire américaine, mais ses convictions pacifistes l’ont rapidement amené à mettre en question ce programme.

À la suite de multiples accrochages avec le général qui dirigeait le projet, il en est finalement exclu. Il crée avec Albert Einstein le Comité d’urgence des scientifiques atomistes, qui milite contre la bombe atomique. Il réoriente sa carrière et s’intéresse à la biologie moléculaire.

Dans ce recueil de nouvelles, cette préoccupation est centrale. Il y a d’abord cinq textes brefs, le premier étant de Stephen Vincent Benét, un novelliste américain du début du XXe siècle pratiquement oublié – mais un article d’Hubert Prolongeau, dans Télérama, invitait, début 2018, à le redécouvrir -. Les quatre brèves nouvelles qui suivent sont de Szilard, et le recueil se conclue avec la nouvelle qui donne son nom à l’ouvrage, La voix des dauphins, un texte plus long, d’environ 80 pages.

Le thème commun à tous ces textes est celui d’un avenir dans lequel les humains, en utilisant l’arme nucléaire, ont ou sont sur le point de détruire la Terre. Chaque texte propose une vision de l’avenir – toutes pessimistes. Parfois, on est dans la politique fiction – Léo Szilard avait la réputation de bien percevoir les évolutions possibles ; sa « légende » veut qu’enfant, il ait prédit la Première Guerre mondiale, que dès l’apparition du mouvement nazi il aurait annoncé qu’ils prendraient le pouvoir (il s’est heureusement trompé en annonçant qu’ils prendraient le contrôle de toute l’Europe), et que, dès 1934, il aurait annoncé plusieurs éléments qui se sont vérifiés pendant la Seconde Guerre mondiale -, parfois dans la science-fiction.

Avis

> L’avis de T

L’extrait donné au tout début de cette chronique est tiré de la troisième nouvelle, La fondation Mark Gable. Il est remarquable à la fois par son ironie, et par sa précision prophétique… Ironie, parce que cet extrait est la réponse d’un scientifique à quelqu’un qui lui demande comment ralentir le progrès scientifique ; prophétique, parce que cela correspond assez fidèlement à la façon dont l’Agence nationale de la recherche fonctionne… et avec elle de nombreux organismes censés « financer » la recherche dans différents pays. Mais, naturellement, personne ne dit jamais officiellement que leur rôle est de ralentir la recherche, bien évidemment.

Dans cette nouvelle, d’ailleurs, le scientifique qui fait cette réponse a inventé une façon de « congeler » les êtres humains, afin de leur permettre de survivre en attendant, par exemple, que l’on ait inventé un traitement à leur maladie. Il a donc souhaité bénéficier de sa propre invention, mais… à son réveil, il se rend finalement compte qu’il a omis de prévoir la possibilité de repartir en arrière, si, par hasard, le futur lui plaisait finalement moins que le passé…

Dans Appel aux étoiles, ce qui ressemble à des intelligences artificielles installées sur une planète observent à distance des bizarreries qui se déroulent sur la planète Terre. Et l’une de ces « intelligences », un peu déviante, finit par imaginer que la seule explication possible à ces phénomènes curieux – explosions à base d’uranium 235, non explosif en situation normale – est que, sur Terre, des êtres aux capacités intellectuelles limitées auraient trouvé un moyen de contrôler l’atome, sans avoir créé les conditions de son emploi inoffensif. La situation parait tellement absurde que la majorité des intelligences artificielles ont beaucoup de mal à y croire, mais…

Dans Criminel de guerre, les Russes sont à New-York. Un scientifique ayant participé au programme nucélaire se retrouve mis en accusation, parce qu’il refuse de mentir. Les soviétiques souhaitent pourtant qu’il soit acquitté, ses collègues sont convaincus qu’il n’est pas coupable d’avoir soutenu le régime américain. Mais lui refuse de trahir la vérité… Le procès s’engage, et tout se retourne contre lui…

Dans Rapport sur la « grande gare centrale », des extra-terrestre explorent une ville déserte, sur Terre. Là aussi, il parait inconcevable à cette civilisation que les hommes aient pu se faire la guerre au point de se détruire. Ils essayent d’expliquer, avec leur propres concepts, leurs découvertes. Nos toilettes publiques deviennent alors de lieux de culte…

Enfin, dans La voix des dauphins, Leó Szilárd imagine que, confronté au risque quasi-permanent de guerre nucléaire entre 1960 et 1985 (rappelons que le livre est sorti en 1962), un institut de recherches en biologie, à Vienne. Et que, dans cet institut, les scientifiques apprennent à parler avec les dauphins, pour bénéficier de leur remarquable intelligence. Et que ces derniers, en suggérant des expériences, contribuent à faire progresser l’humanité. Que pourrait-il dès lors arriver ?

On le voit, ce recueil de nouvelles est très orienté. Sans doute trop, car bien d’autres dangers nous paraissent désormais au moins aussi sérieux que celui d’une guerre nucléaire… Il ne faut donc pas lire ce livre uniquement pour ses qualités littéraires – j’ai trouvé certains passages de La voix des dauphins un brin abscons -, mais bien d’abord pour se replonger dans ce que l’on pouvait craindre alors.

Mais il s’agit vraiment d’une curiosité, qui n’est pas sans me rappeler, par certains côtés, Quinzinzinzili, découvert il y a plusieurs mois à l’occasion de sa réédition par les Éditions de la Table Ronde.

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